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Inscrire le "féminicide" dans le Code pénal, une épineuse question pour les juristes

Alors que commence le Grenelle des violences conjugales, la question de l'existence juridique du terme "féminicide" fait débat. FÉMINICIDES - Ce mot sera au cœur du Grenelle des violences conjugales qui commence ce mardi 3 septembre. Mais alors que les féminicides, depuis le début de l’année, ont déjà fait 101 victimes, le terme n’a encore aucune existence juridique en France. Et ce fait continue de diviser les spécialistes.
Le féminicide s’est pourtant imposé dans le débat, tant médiatique que culturel. Depuis plusieurs années en effet, les associations et militantes font un réel travail pour que cesse la banalisation de ces meurtres, trop souvent assimilés à des “crimes passionnels”.
En 2017, le journal Libération avait effectué un vaste recensement de ces meurtres pendant toute l’année, ce qui a permis non seulement de rendre hommage aux victimes mais aussi de mettre en lumière l’immuable répétition de ces crimes. Et en janvier 2018, lorsqu’explose l’affaire Alexia Daval, le terme féminicide est employé par la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa.
En cette année 2019, ce tragique décompte est amplement suivi. Le centième a d’ailleurs mobilisé dimanche 1er septembre une centaine de militantes du collectif #NousToutes sur la place du Trocadéro à Paris.

Meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme

Pourtant, le féminicide, qui signifie le “meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme”, selon la définition de Diana Russel dans le livre Feminicide, The Politics of Woman Killing, publié en 1992, n’existe pas dans le code pénal. Faut-il que cela change?
C’est en tout cas l’une des demandes de certaines associations et militantes. Dans une tribune publiée sur Franceinfo le 19 juillet, les familles et proches de 35 victimes de féminicides demandaient à ce qu’il soit inscrit dans le code pénal, “en tant que crime machiste et systémique: ces femmes sont tuées parce qu’elles sont des femmes par des hommes qui pensent avoir un droit de vie ou de mort sur elles”.
C’est aussi l’avis de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, contactée par Le HuffPost. Pour elle, la reconnaissance juridique de ce terme est en tout cas nécessaire, non pas parce qu’un féminicide est plus grave qu’un autre crime, mais parce qu’il concerne potentiellement la moitié de la population et qu’il prend donc une autre dimension, “comme dans tous les contextes de discrimination, comme les meurtres racistes ou d’homosexuels”, précise-t-elle. Elle ajoute: “mieux on nomme, plus on identifie les racines de la violence, mieux on peut lutter contre elle.”

Universalisme du droit

Du côté des spécialistes du droit, la question est plus épineuse. Dès mai 2016, la Commission nationale consultative des droits de l’homme s’est penchée sur la question. Pour elle, l’introduction du terme “comporterait le risque de porter atteinte à l’universalisme du droit et pourrait méconnaître le principe d’égalité de tous devant la loi pénale, dès lors qu’elle ne viserait que l’identité féminine de la victime”. Mais, dans le même temps, la Commission tenait à encourager l’usage de ce terme ”à la fois sur la scène internationale dans le langage diplomatique français, mais aussi dans le vocabulaire courant, en particulier dans les médias”. Dans le langage, pour éviter la banalisation des féminicides, oui, mais dans le droit, non.
Il faut savoir qu’à l’international, le terme est déjà reconnu et employé. C’est par exemple le cas de l’Organisation mondiale de la santé, qui le définit comme un “homicide volontaire d’une femme, mais il existe des définitions plus larges qui incluent tout meurtre de filles ou de femmes au simple motif qu’elles sont des femmes.” Le mot féminicide est aussi largement employé en tant que tel au Parlement européen.
Au niveau juridique français, il existe même dans le “Vocabulaire du droit et des sciences humaines” depuis 2014.
Mais quant à son inscription dans le Code pénal, la présence d’enjeux politiques et féministes sont parfois évoqués pour justifier l’absence de nécessité de créer une nouvelle catégorie juridique pour ce crime. “On sent qu’il y a un enjeu politique fort en ce moment et encore plus au mois de septembre avec le Grenelle des violences conjugales. Il recouvre une qualification juridique qui existe déjà et c’est la raison pour laquelle il ne nous paraît pas nécessaire ni utile a priori, sous réserve des positions qu’on pourra prendre ultérieurement en fonction de l’évolution des débats, d’en faire une catégorie juridique, ou en tout cas une infraction à part”, estime ainsi Anne-Sophie Wallach, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, contactée par Le Monde.
Auprès du même quotidien, Charlotte Beluet, procureure d’Auch, avance que “féminicide, c’est teinté de féminisme, de militantisme. Nous, en tant que procureurs, on doit être objectifs, neutres, marqués par rien d’autre que le droit”. Mais en même temps, elle se demande: “Je ne suis ni militante ni féministe, mais si 94 hommes avaient été tués par leur femme depuis le début de l’année, peut-être que la réaction du corps social aurait été plus évidente?”

Modifier la loi sans inscrire le terme

Contactée par Le HuffPost, Emmanuelle Rivier, avocate spécialisée dans l’accompagnement et la défense de victimes de violences conjugales, sexuelles et sexistes, n’a aucun doute sur l’utilité du terme féminicide “pour rendre visibles ces crimes, montrer qu’il ne s’agit pas d’actes isolés mais d’actes se situant dans le continuum d’une société patriarcale”. En revanche, il faudrait, pour se prononcer, disposer d’une proposition de définition juridique précise du crime de féminicide. Ensuite, si l’on acte qu’il s’agit du meurtre d’une femme au simple motif qu’elle est une femme, pour reprendre la définition de l’OMS, “comment le démontre-t-on?”, s’interroge-t-elle.
L’avocate entend l’importance du terme par rapport à celui d’homicide, qui “sous couvert d’universalisme, fait référence aux hommes et invisibilise donc les violences spécifiques faites aux femmes”. Mais selon elle, d’autres possibilités que celle de l’inscription du terme dans le Code pénal sont envisageables. Comme, par exemple, l’instauration, au même titre que les crimes à caractère raciste ou homophobe, d’un crime à caractère sexiste ou encore d’une présomption du caractère sexiste du crime, quand il a eu lieu dans le cadre conjugal. Auquel cas ce serait à l’auteur du crime de prouver le caractère non-sexiste de son acte.
Mais, avant toutes choses, il est nécessaire, selon elle, de “mener une vraie politique de prévention contre les féminicides et, plus largement, de toutes les formes de violences conjugales. De nombreuses lois existent et ne sont pas bien appliquées”, estime-t-elle. Comme l’obligation de recevoir les plaintes, l’obligation de la formation de l’ensemble des personnes impliquées dans les violences conjugales ou encore l’examen automatique par le juge pénal du retrait de l’autorité parentale au parent violent lorsque sont jugées des affaires de violences conjugales.
Plus que l’absence d’un terme juridique, ce sont les manques de moyens financiers et de formation des professionnels qui empêchent d’endiguer les féminicides et les violences volontaires. “Ce qui tue, c’est le silence”, conclut-elle.

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